˜ XXIII

La maison de Hagrid devait être le meilleur endroit pour se cacher, si l’on en croyait son propriétaire.

Pourtant, Alice s’y ennuyait à mourir. Elle n’avait pas le droit de sortir.

Le demi-géant avait aménagé tout un coin de sa maison, pour elle, mais elle en avait assez d’être confinée ici, sans livres. Elle n’avait rien de rien à lire ! Elle n’aurait jamais cru s’ennuyer ainsi un jour.

Déjà, Hagrid n’était là que le soir, donc elle n’avait personne à qui parler – et puis, qu’est-ce que cela y aurait changé ? Ensuite, elle ignorait encore pour quelle raison stupide, on était venu la chercher dans sa retraite paisible. Enfin, elle aurait bien aimé avoir un peu de compagnie.

Sa chouette passait ses journées à dormir, et la nuit, elle partait.

Or, Alice, malgré son dédain pour les autres, avait envie de voir ne serait-ce que Cedric ! Elle savait que les cours n’étaient pas encore finis ; elle avait passé la semaine dernière à composer sur ses examens, mais sans Rogue, cette fois. Il restait donc deux semaines avant la fin de l’année scolaire.

Et où était-il, Rogue ? Elle n’avait pas non plus compris pourquoi, et pourtant elle avait cherché, il lui avait manifesté autant d’intérêt, ces derniers temps, surtout pour ensuite la délaisser complètement ; elle se disait surtout qu’elle était bien bête, à vouloir lui chercher des excuses, tiens. Elle ne savait pas qui avait ordonné qu’on la ramène ; McGonagall ? Dumbledore ? Qui ?

Ce soir-là, il pleuvait. Elle était accoudée à la fenêtre et regardait dehors. Le regard perdu dans les rêveries, elle vit surgir de la nuit, un visage blafard, qui vint se coller à la vitre, et qui la fixa un court instant, avec un étrange sourire, et une lueur aussi étrange dans les yeux.

Alice recula en poussant un cri de frayeur, trébucha et tomba lourdement sur le sol. Lorsqu’elle regarda à nouveau dehors, il n’y avait plus rien.

Elle ne s’approcha plus de la fenêtre.

Elle alla s’asseoir au coin du feu, pour attendre que Hagrid revienne. Elle ne voulait pas se l’avouer, mais elle avait peur ; quelque chose étreignait son cœur froidement, elle le sentait battre, vite, mais il lui semblait tellement froid…

Elle refusait de s’endormir, elle ne voulait pas que la chose revienne, cette espèce de figure de l’enfer, avec ses yeux noirs, complètement noirs, comme deux trous ouverts sur de sombres lueurs immondes, et ce sourire… Un sourire gourmant et cruel. La peau blanche, marbrée, comme celle d’un cadavre… Des serpents en guise de chevelure… Un visage macabre sans corps, qui flottait dans l’air.

Elle ferma les yeux et y pressa ses poings serrés, comme pour en chasser cette vision affreuse ! Pourquoi encore des monstruosités ? Elle faisait des cauchemars chaque nuit, n’était-ce pas suffisant ? Il fallait encore qu’elle voit ces choses quand elle était éveillée ? Elle aurait bien pleuré, mais elle ne voulait pas le montrer.

Puis Hagrid finit par rentrer.

" Salut grenouille ! " lança-t-il en fermant la porte, tout dégoulinant de pluie, suivi de près par Crockdur.

Le chien se secoua volontiers, arrosant un peu tout et tout le monde avec bonheur, et vint se coucher devant la cheminée.

Avant que Hagrid ait pu dire quoi que ce soit, Alice entama la conversation.

" J’ai vu un truc bizarre. "

Hagrid se tourna vers elle, l’air inquiet.

" Quoi ? " s’étonna-t-il, tout en envoyant sa bouilloire sur le feu.

La jeune fille tourna le dos à la cheminée, pour faire face à son hôte.

" - Une tête est venue flotter devant la fenêtre, répondit-elle simplement.

  1. Une tête ? Comment ça, une tête ??
  2. Bin, une tête quoi ! Une tête, sans corps, une tête. Qui flottait, là, juste là."

Hagrid soupira. Qu’est-ce que c’était encore que cette histoire ? Il l’entendait chaque nuit gémir dans ses cauchemars, pleurer, appeler sa mère, son père, et une autre personne – pourquoi lui ? Mais jamais elle n’avait raconté quoi que ce soit. Elle continuait à tout garder pour elle. Mais là, elle disait avoir vu quelque chose.

Il fit un geste d’impuissance, de la main. Il ne savait pas quoi lui dire. Il ne savait jamais quoi lui dire. Il l’avait ramenée la semaine dernière, sans même savoir pourquoi. Il avait reçu un hibou urgent ; le parchemin disait que la fille devait revenir à Poudlard, pour sa sécurité. La missive n’était pas signée, mais elle portait le sceau du Ministère de la Magie. Il avait supposé qu’il était le seul à être au courant, et de ce fait, il n’en avait parlé à personne. Puis il avait réfléchi : Rogue savait.

Oui, il savait, sinon, il ne lui aurait pas délégué la surveillance des examens. Il devait aussi savoir qui avait envoyé la lettre " officielle ". Mais, pour ne pas déroger à ses habitudes, il n’avait rien dit, rien divulgué. Il continuait à écrire inlassablement, couvrant parchemin sur parchemin, le nez constamment plongé dans des livres plus vieux les uns que les autres, et ce, depuis trop longtemps.

Hagrid avait déjà trouvé bizarre, le fait qu’il se soit proposé, à la demande de McGonagall, pour faire passer ses examens de fin d’année à Alice. Il trouvait encore plus bizarre le fait qu’après cela, il ne soit même pas venu la voir. Enfin, cela, au moins, correspondait bien mieux au personnage. Le désintérêt plus que l’intérêt. Mais de là à passer sa vie dans les livres, pour écrire on ne savait quoi…

" -Tu as peut-être rêvé, finit-il par dire, en s’asseyant à table.

  1. Oui, comme d’habitude… "

Alice préféra mettre un terme à cette discussion.

Ils dînèrent en silence, puis elle lui souhaita bonne nuit et alla se coucher, après avoir pris une douche.

Hagrid lui avait fait un petit nid douillet, dans un recoin de sa maison. Il lui suffisait de passer derrière une grande tenture, et elle avait une petite chambre, avec un lit moelleux, un petit bureau pour écrire – et rien pour le faire – et une alcôve pour sa toilette, avec une vraie douche d’eau de pluie que la cheminée chauffait. C’était un peu archaïque, mais au moins, il y avait toujours de l’eau pour elle. Et puis, rien ne l’avait obligé à faire tout ça pour elle. Rien.

Elle rêvassait depuis un long moment, bien au chaud sous ses couvertures, lorsque sa petite chouette vint se poser sur le pied du lit – elle avait gardé cette habitude rigolote. Alice sursauta ; puis elle s’assit, se maudissant d’être trop nerveuse, et là, elle remarqua que la chouette tenait en son bec une lettre – elle aurait pu tout aussi bien lui ramener un mulot ou un truc immonde de la Forêt Interdite…

La première chose qu’elle fit, fut de regarder le sceau : il était mal imprimé dans la cire, mais cela ressemblait fort à une ébauche de serpent, là, cette courbe, comme un corps reptilien qui s’enroule sur lui-même… Ce n’était toutefois pas le sceau de la maison Serpentard, et d’ailleurs, elle ne voyait pas pourquoi elle s’y était attendue. Elle l’ouvrit.

Elle ne connaissait pas l’écriture, mais elle était simple, un peu écrasée peut-être, avec quand même de longs jambages qui s’élançaient vers le bas. Comme des queues de serpent… Et cette lettre disait simplement :

" Si vous vous ennuyez, prenez de la poudre de cheminette, et dites ‘Manoir de Malfoy’. Personne n’en saura rien. "

Elle faillit se mettre à rire. Comme si elle allait se jeter dans la gueule du loup ! Elle n’était pas si stupide ! Qui pouvait croire qu’elle allait tomber dans le panneau ? Non mais, on n’était plus à l’époque où les filles sont si crédules, que les gens croient que… Pourquoi cette lettre ? Que lui voulait ce Malfoy ? Elle ne l’avait vu qu’une seule fois, et lui tout autant. C’était une invitation clandestine. Et si elle y allait une fois ? Juste une fois… Dans la journée, pendant que Hagrid n’était pas là. Personne n’en saurait rien.

Elle alla ranger cette lettre étrange sous une pierre du mur, et retourna se coucher. Il n’y avait pas de mal à fausser compagnie à personne, finalement. Pourquoi pas ? Il y en avait, ici, de la poudre de cheminette. Il suffisait qu’elle parte juste une heure ou deux. Qui le saurait ?

De drôles d’idées en tête, elle finit par s’endormir, tout en sachant pertinemment que ses rêves allaient encore la faire souffrir.

Au matin, Hagrid sortit, comme chaque jour, pour aller prendre ses consignes auprès de Ethan ; ils trouvaient cela complètement inutile, l’un comme l’autre, mais ils ne le faisaient que pour rassurer le professeur McGonagall, qui était bien trop inquiète, nerveuse. Au moindre incident, elle était à la limite de la crise de nerfs.

Curieusement, et cela, seul Hagrid semblait l’avoir remarqué, la créature n’avait plus attaqué, ne s’était plus manifestée, depuis le départ d’Alice. Elle n’était plus dans l’école, et sa présence dans la maison du garde-chasse ne paraissait pas affecter le monstre. Comme s’il ne la sentait plus… Peut-être qu’effectivement, cette bête ne sentait plus les choses se trouvant en dehors des murs de l’école.

Une fois qu’il eut discuté plus qu’autre chose avec le jeune Ethan, le demi-géant partit faire sa ronde autour du lac ; ce n’était rien d’autre qu’une mascarade, parce qu’il savait qu’il ne trouverait rien de rien, dans ce secteur. C’était dans l’école, que la créature se terrait. C’était dans le cœur d’Eswann Bathory, qu’il fallait la chercher. Ils le savaient tous, eux, les chasseurs, mais personne ne savait comment faire.

C’était sur cela que Rogue travaillait, depuis des jours et des jours. Il avait sorti de la réserve de la bibliothèque tous les livres, toutes les encyclopédies, toutes les chroniques, concernant ces créatures néfastes – vampires... Bien sûr, il y perdait son temps, mais que faire d’autre ? Attendre, comme McGonagall, que le boulot soit fait par quelqu’un d’autre ? Attendre que le Ministère, qui semblait s’en être désintéressé au plus haut point, détache enfin les Détraqueurs ? Cela dit, il se demandait de plus en plus si cela n’avait pas été qu’une rumeur, un mensonge pour les faire patienter. Sans cela, Dumbledore, qui avait toujours honni ces monstres ignominieux, ne l’aurait jamais laissé faire ; au lieu de s’enfermer dans la dépression, il se serait battu et serait resté à la tête de l’école, il aurait refusé la venue des Détraqueurs.

Alors, le maître des potions cherchait un moyen de mettre Eswann hors d’état de nuire. D’un côté, il crevait d’envie de demander de l’aide à Malfoy, parce que ce sale gosse devait savoir ! Il savait, c’était sûr. Vu le poste qu’il occupait, il avait accès à tous les fichiers, tous les dossiers, il savait qui était la petite saleté qui tuait les gens à Poudlard. Avec ses grands airs, ce gosse manipulait toujours aussi bien son monde ; il avait de qui tenir, il fallait l’avouer, alors il n’allait pas s’écarter d’un des principes de sa famille, n’est-ce pas ? D’un autre côté, Rogue et sa fierté ne se seraient jamais abaissés à aller chercher le savoir, auprès d’un quelconque étranger. Alors ça, jamais de la vie. Non, il valait mieux passer des heures à trimer, à se tuer les yeux à la lueur des bougies, à gratter le papier inlassablement, plutôt que d’aller solliciter M. Malfoy fils.

Ce même Malfoy n’était pas au Ministère, ce jour-là. Non. De toute façon, il n’y était pas souvent. Plus exactement, sa fonction ne l’obligeait pas à rester enfermé dans son bureau toute la journée. Il pouvait aller et venir comme bon lui semblait, où il voulait. Or, il avait renvoyé la veille une petite chouette venue se perdre chez lui, étrangement ; il savait à qui elle appartenait, du moins son ancien propriétaire, et de fait, il savait par qui elle avait été adoptée. Il l’avait appelée, elle était venue, et il l’avait renvoyée avec un message, très simple, sans malice ; comme presque tous les gens comme lui, il avait de l’intérêt pour la jeune fille aux yeux d’ambre. Pourquoi ? Lui savait pourquoi elle était tant désirée, et par un des derniers mages noirs encore vivants, et par une folle pas si folle que cela. Il le savait parce qu’il l’avait lu, dans un des nombreux livres qu’il détenait, au Ministère ; tous les sorciers étaient répertoriés, les Cracmols, les enfants de Moldus, ses anciens professeurs, ses parents, lui…

A cause de cela, il trouvait cette sorte de traque encore plus ridicule. A cause de cela, il avait envie d’avouer, à la première concernée, pour quelle raison elle était traquée, pas par méchanceté ou un quelconque désir de suprématie, mais juste pour qu’elle sache, enfin.

Il était tranquillement en train de descendre les escaliers menant au salon, lorsqu’un fracas incroyable les lui fit dévaler en courant ; arrivé en bas, il se retint de rire, devant le spectacle qui s’offrait à lui.

Son invitée était vautrée contre le canapé, le tapis en accordéon sous elle, les cheveux en bataille et de la suie des pieds à la tête. Des cendres jonchaient le sol, une bûche ou deux avaient glissé avec l’arrivante, jusqu’aux pieds du canapé. C’était à mourir de rire.

" Heu… Salut… " fit Alice, en se relevant comme une vieille, en se tenant le dos, les cheveux dans la figure.

Là, Draco Malfoy, le dernier de sa génération, éclata de rire, de bon cœur, parce que la situation était vraiment trop cocasse.

Envoyer une missive à cette petite, dans le seul but de lui révéler un secret ou deux, et la voir débarquer le lendemain, là, par la cheminée, c’était trop drôle. Etait-elle si peu méfiante ? Elle n’avait pourtant pas l’air si naïve que cela. Savait-elle qui il était ? Peut-être pas. Le vieux Rogue n’avait pas vraiment dû lui parler de lui, son ancien élève, fils de feu Lucius Malfoy, un Serpentard comme lui, une personne peu fréquentable, comme tous les gens issus de cette maison.

Comme Alice restait plantée là, sans bouger, intimidée – normal, après tout – et presque rougissante, il s’approcha d’elle ; elle recula, mais il ne fit que renvoyer cendres et bûches dans l’âtre, d’un geste de la main.

" Excusez-moi " dit-il alors.

Elle se poussa sur le côté et il remit en place le tapis qui, se dit-elle au passage, devait coûter une petite fortune. D’un autre geste léger, il la débarrassa de toute la suie qui la couvrait, et qui donnait à son visage un air de gosse sorti d’on ne sait où – ce qui était presque le cas.

Puis Alice s’enhardit un peu.

" Qu’est-ce que je fais ici ? " demanda-t-elle à brûle pourpoint.

Il fit son petit sourire en coin détestable.

" En fait, je vous ai fait venir pour vous échanger contre un paquet de fric. "

Elle pâlit horriblement et glissa la main dans la poche intérieure de sa veste, sans doute pour en sortir sa baguette.

Mais Malfoy se mit à rire, et l’invita à s’asseoir.

" - C’était une blague, répondit-il, tout en se dirigeant vers une desserte, pour y prendre à boire.

  1. Ah oui, en effet, c’est à mourir de rire, vraiment, grommela Alice en ne s’asseyant pas.
  2. Vous ne trouvez pas ?
  3. Non, non, je ne trouve pas, non ! "

Elle avait bien un sale caractère, c’était plus que clair. Ajouté à cela, tout le reste, cela en faisant quelque chose de vraiment intéressant, oui.

" Je vous préviens, j’ai prévenu quelqu’un de ma présence chez vous " dit-elle en croisant les bras – et ce qu’elle disait était faux.

Malfoy haussa les épaules et hocha la tête d’un air entendu, comme s’il trouvait cela normal, et que cela ne le dérangeait pas le moins du monde, bien qu’il sache pertinemment qu’elle mentait.

" - Alors ? répéta-t-elle en fronçant les sourcils.

  1. Vous ne vous asseyez pas ? "

Elle s’assit, mais sans quitter son air renfrogné, ni décroiser les bras.

Elle donnait à son hôte une furieuse envie de rire ; son attitude lui rappelait immanquablement quelqu’un, et il se demandait si elle ne le faisait pas exprès, et pourquoi elle se murait ainsi.

" - En fait, je ne sais pas, fit Malfoy.

  1. Vous ne savez pas quoi ? "

Comme il lui tendait un verre rempli de ce qui avait l’air d’être du soda, elle le regarda d’un air méfiant.

" - Ce n’est pas du poison, ni une potion, dit-il sur un ton amusé. C’est du Coca Cola, ça ne mord pas.

  1. Je sais que ça ne mord pas ! répliqua Alice en prenant le verre. C’est Moldu ! "

Il réprima encore un rire. Quel phénomène, cette gamine…

" Je ne sais pas par où commencer " reprit-il en s’asseyant dans un fauteuil, en face.

Il avait soudain l’air si sérieux, qu’elle en posa son verre sur la petite table, sur le côté. Elle ne savait pas si là aussi il jouait la comédie. Elle ne savait pas pourquoi elle avait choisi si facilement de venir chez lui, parce qu’elle ne le connaissait nullement, et qu’elle devait lui donner l’impression d’être quelqu’un de facile ou d’intéressé. Peut-être qu’il allait lui dire des choses, et qu’en retour, il voudrait… Elle frémit en pensant qu’il y aurait un prix à payer, contre sa venue ici.

Comme il se relevait et s’éloignait, elle se détendit. Elle se rappela ce que Rogue lui avait dit, à propos de ce Malfoy : elle ne devait pas s’approcher de lui. Pourquoi ? Elle savait qu’il était un ancien élève, elle savait de quelle maison il venait. Mais elle ne voyait pas quel mal il y avait à parler avec lui. Elle se souvenait aussi de la réaction de son professeur, à la vue du jeune homme ; pourquoi réagir ainsi ? N’avait-il pas un peu exagéré ? Elle devrait peut-être quand même s’en méfier un peu. Elle avait sa baguette et quelques sorts en poche, qui lui permettraient de se sauver, au cas où.

Il revint, quelques longues minutes plus tard, avec deux énormes livres sous le bras, qui avaient l’air usé, vieux, d’un autre âge. Il les posa sur le canapé, près d’elle. Il allait lui dire quelque chose, mais une longue plainte venant de l’étage l’en empêcha. Comme Alice frissonnait, il pâlit et se redressa, mal à l’aise. Son regard s’était tourné vers les escaliers, comme s’il s’attendait à ce que quelqu’un les descende ; mais une seconde plainte se fit entendre, suivit de son prénom. C’était une voix de femme.

" C’est… C’est ma mère… " murmura-t-il avec une sorte de léger tremblement dans la voix.

Alice ne trouva rien à dire, mais il la laissa seule, encore plus mal à l’aise, avec ces deux gros bouquins pour seule compagnie. Elle but quelques gorgées de soda et attrapa le premier livre de la pile ; il avait pour titre " Chroniques des Sorciers, Vingtième Siècle, Tome XI " et c’était déjà bien assez bizarre. Après l’avoir ouvert, elle s’aperçut que ce livre n’était pas une relique, comme elle l’avait cru, et de toute façon, il suffisait de lire le titre, pour le voir ; le texte était bizarrement fait, c’était comme si quelqu’un avait tenu un journal de bord, tout écrit à la plume. Elle comprit vite ce qu’étaient ces chroniques…

Le cœur battant, elle sauta des pages jusqu’à celle de sa propre année de naissance. Avant même de commencer, elle repoussa le bouquin et s’empara du second, le dernier qui restait sur le canapé - " Chroniques des Sorciers, Vingtième Siècle, Tome IX ". Elle chercha longtemps, avant de trouver ce qu’elle voulait, puis elle lut, elle lut sans s’arrêter, bien que cette vie soit mélangée à d’autres, qui se recoupaient, se complétaient, se détachaient, et cette lecture lui offrait en spectacle des choses dont elle ne s’était jamais douté, jamais, et pourtant, c’était si évident ! Tout était expliqué, là, sous ses yeux, dans ces mots, dans ces faits.

Les mains tremblantes, les larmes aux yeux, elle reprit l’autre livre et revint à la page de sa naissance. Il y avait le mot " moldu " mais il ne lui était plus associé tel qu’elle le connaissait. Ce qu’elle découvrait là, c’était la vérité, c’était elle, ce n’était pas le mensonge dans lequel elle avait vécu tant de bonheur. C’était sa vie, depuis le départ, jusqu’à la mort de ses parents. C’était court, mais c’était cela, la vérité. Qui savait ? Pourquoi se sentait-elle révoltée, maintenant ? Tout était beaucoup plus clair, mais elle détestait cela, elle détestait cette vérité ! Là aussi, tout se recoupait, et cela donnait une raison à son attachement, ou un prétexte.

Un prétexte…

" Je suis désolé de vous avoir fait attendre. "

Elle ne fit pas cas de la présence de Malfoy, jusqu’à ce qu’il comprenne qu’elle avait lu, et que maintenant elle savait, et qu’il vienne s’asseoir près d’elle. Elle referma lentement le livre, puis le second, et leva le visage vers son interlocuteur.

" - C’est… C’est monstrueux… murmura-t-elle, luttant contre les larmes.

  1. Je sais, mais c’est toujours mieux que de vivre dans le mensonge " répondit Malfoy avec amertume.

Alice se leva brusquement, laissant tomber les livres par terre. Elle fit quelques pas vers la cheminée, les bras de nouveau croisés contre elle, les lèvres pincées en une attitude rageuse, comme si elle se retenait d’exploser. Elle lui en voulait. Il l’avait faite venir ici, uniquement dans le but de lui avouer des choses qu’elle n’aurait jamais pu imaginer. Non, pas de lui avouer, mais de les lui faire découvrir de cette manière lâche : dans un livre !

" - Comment avez-vous pu croire, que vous aviez le doit de faire ça ?! s’écria-t-elle, furieuse.

  1. Ne criez pas… dit Malfoy en se levant, les mains levées dans un geste apaisant.
  2. Oh mais si, je vais crier !
  3. Non, non, je vous en prie, vous allez la réveiller… "

Il avait l’air si inquiet, qu’elle en resta sans voix. De qui parlait-il ? De sa mère, celle qui avait crié, tout à l’heure ?

" - Je sais que je n’aurais pas dû vous présenter la chose de cette façon, reprit-il en se rasseyant. Mais… Je sais ce qui court après vous, je voulais que vous sachiez pourquoi.

  1. C’est un peu léger, non ?
  2. Dites-le aux sorciers qui vous veulent.
  3. Quoi, Bathory ? "

A ce nom, Malfoy sourit d’une drôle de façon.

" Si on veut, dit-il en haussant les épaules. Mais je pensais à Engel Sheller. "

Alice leva les yeux au ciel.

" - Bien sûr, je vais vous croire, fit-elle en le foudroyant du regard.

  1. Ce n’est pas parce que c’est le père d’une de vos camarades de classe, que cela le dispense d’être un sale type, et cela, vous le savez, répondit Malfoy un peu froidement. Et quand je dis sale type… Vous l’avez lu, je suppose ?
  2. Oui, j’ai lu certaines choses.
  3. C’est un ancien adepte de Vous-Savez-Qui.
  4. Oui, comme votre père et comme Rogue, je sais. "

Avec quelle voix méprisante elle l’avait dit, le nom de son professeur ! Dire qu’elle portait le même, dire qu’il aurait au moins pu avoir la décence de le lui dire, qu’il était un… un Mangemort ! Dire que c’était à cause de cela, qu’elle se sentait si proche de lui, parce qu’il était… ça.

" - Je me fous de savoir qui veut ma mort, parce que je n’ai rien à voir là-dedans ! dit-elle avec force, sans faire attention au regard alarmé de Malfoy. Je n’ai rien demandé, moi !! Je… Je suis juste… Une fille de Moldus, d’accord ?! Juste une Sang-de-Bourbe !! Alors… Alors je veux qu’on me foute la paix avec ces conneries !!

  1. Ne criez pas, s’il vous plaît !
  2. Vous, vous ne valez pas mieux que le sale con que vous incriminez !! Je vous déteste ! "

Elle voulut le gifler, mais il fut plus prompt qu’elle, et retint son coup, et par la même occasion, il lui plaqua la main sur la bouche, pour qu’elle cesse enfin de crier, avant qu’elle ne réveille sa mère, qui dormait là-haut, au premier. Tout en la serrant contre lui, bloquée pour qu’elle ne se débatte pas, il se mit à lui parler à l’oreille, doucement, comme s’il cherchait à la calmer.

" Je ne suis pas votre ennemi… Ce que je vous ai appris, vous l’auriez su, tôt ou tard, et d’une manière peut-être pire… Si c’est avoir lu le nom de ma famille, dans ces bouquins, qui vous gêne, j’en suis navré, croyez-moi, mais il ne faut pas se voiler la face, tout n’est pas rose dans la vie. Je suis le fils d’un Mangemort, Rogue était un Mangemort, Sheller aussi, et vos parents aussi… C’est comme ça, on n’y peut rien, c’est la vie ! "

Ce fut à cet instant, et seulement à cet instant, qu’Alice laissa couler ses larmes.

Les mots avaient été dits. L’affreuse vérité avait été dite.

" Depuis que je vous connais, j’ai toujours su que vous n’étiez pas au courant… Personne ne s’était donné la peine de vous le dire, et la seule personne qui aurait pu le faire, l’ignore encore. Il fallait que vous sachiez, parce qu’aucune autre vérité n’aurait pu vous expliquer ce qui se passe. "

Il lâcha Alice, qui lui fit face, et dont le visage n’exprimait plus autre chose que la détresse, baigné de larmes.

" Je ne peux pas être ça… Je ne peux pas… " balbutia-t-elle, avant de se remettre à pleurer.

Elle refusait la vérité.

" - Vous n’êtes pas cela, dit Malfoy avec douceur. Vous ne l’êtes pas, parce que vous n’avez pas été élevée pour l’être. C’est en cela, que nous sommes différents.

  1. Différents ? Mais, votre père… Mes parents… "

Il lui sourit de nouveau.

" Mon père, je l’ai tué de mes propres mains, il y a huit ans. "

Il serra les dents, et une lueur inquiétante passa dans ses yeux. Alice reconnut en lui, celui avec qui elle avait parlé, devant l’Allée des Embrumes ; là aussi, il avait eu cet air malsain.

" Ces mains-là, Alice, pourraient vous tuer, vous aussi. Il me suffit de les poser sur votre cou… "

Il joignit le geste à la parole.

" … et de serrer… jusqu’à ce que la vie vous quitte… "

Il serra, mais Alice ne baissa pas les yeux ; elle soutint le regard bleu acier, sans fléchir.

" Mais je ne le ferai pas, parce que votre âme n’est pas impure… "

Il desserra son étreinte.

" - Vous êtes fou… lui dit-elle avec reproche.

  1. Non, plus maintenant. J’ai vécu dans l’ombre d’un démon pendant des années. J’ai chassé ce monstre hors de ma vie, et je compte en faire autant avec ceux qui restent… "

Ceux qui restent… Mais il n’en restait plus qu’un. Une fois qu’il aurait débarrassé le monde sorcier de Engel Sheller, que ferait-il ? Il n’y aurait plus rien à chasser. Oh, si, bien sûr, il restait les petits rigolos qui pratiquaient encore la magie noire. A cette pensée, il sourit. Il tendit la main et la posa sur la joue d’Alice, qui ne la repoussa pas.

" - Vous pourriez devenir ma cible préférée, si vous continuez à faire joujou avec la magie interdite, dit-il avec un drôle de regard.

  1. Cela ne risque pas d’arriver.
  2. Non ?
  3. Non.
  4. Allons, je sais bien que vous avez ça dans le sang… C’est ce qui vous plaît le plus, c’est ce qui vous attire, c’est ce qui fait de vous ce que vous êtes. C’est ce qui fait que je ne vous laisserai pas prendre cette voie, personne ne vous laissera la prendre… "

Il acheva sa phrase dans un souffle, et elle ne pouvait plus détacher le regard du sien, elle ne pouvait pas lui dire qu’il avait raison, elle ne savait plus où elle était, elle le laissa se pencher vers elle et l’embrasser, elle ne le repoussa pas et ses larmes recommencèrent à couler.

" Je… Je dois m’en aller… " murmura-t-elle, en se dégageant doucement de ses bras.

Il la regarda, mais dans ses yeux, aucune malice. Il tendit la main et écarta de son front une mèche de longs cheveux noirs, qu’il passa derrière son épaule. Puis il la laissa partir, sans rien lui dire, par là où elle était venue. Une fois que les flammes vertes de la cheminée eurent disparu, il s’assit par terre, en tailleur, et ramassa les livres, qu’il posa derrière lui, sur le canapé.

Pourquoi avoir fait cela ? Ce baiser… C’était une gamine, elle avait dix ans de moins que lui. Etait-ce parce qu’elle semblait si vulnérable ? Si elle vivait, elle deviendrait une sorcière puissante, versée dans les arts obscurs, exactement comme son ancien professeur. Mais elle paraissait si délicate, si fragile, que le moindre choc semblait pouvoir la briser. S’il l’avait voulu, il aurait pu lui faire perdre la tête, rien qu’avec les révélations qu’il lui avait indirectement faites. Pourtant, elle s’était juste mise en colère, jusqu’au moment où il avait dit le mot qu’elle refusait d’entendre. Là, elle avait perdu contenance, et elle avait pleuré, elle lui avait montré sa vulnérabilité.

Elle et lui étaient différents, c’était vrai, mais…

" Alors, vous ne venez pas accueillir votre invité ? " fit une voix derrière lui, à la porte du salon, le tirant de ses réflexions.

Il se leva d’un bond, pour se retrouver face à face avec Engel Sheller lui-même ; il avait complètement oublié qu’il devait venir, celui-là !

" - Ma mère est endormie, dit Malfoy en guise de bienvenue.

  1. Oh, ce n’est pas grave, je la verrai une autre fois, répondit Sheller en souriant. Parlons plutôt de votre petite protégée. Je suppose qu’elle est au courant, maintenant ? "

Malfoy pâlit horriblement, bien plus que lorsque sa mère avait crié, alors qu’Alice était là, exactement où il se tenait actuellement.

" Allons, mon jeune ami, il ne s’agit que d’une petite conversation entre vous et moi, ne prenez pas cet air-là " dit Sheller avec cet air supérieur détestable.

Un jour ou l’autre, il finirait par passer les mains autour du cou de ce salaud, et cette fois, il serrerait, jusqu’à ce que la vie le quitte, exactement comme il avait dit à Alice. En attendant, il lui faudrait improviser, pour ne rien laisser transparaître.

Cette même Alice, de son côté, fit une arrivée fracassante, à la maison. Par chance, Hagrid n’était pas rentré. En revanche, elle atterrit aux pieds de quelqu’un d’autre, au milieu des cendres et des bûches - décidément.

Alors qu’elle était assise par terre, toussant et cherchant de l’air, elle leva les yeux vers Rogue lui-même, qui la regardait avec tout le mépris possible, du haut de sa personne écoeurée, en silence – un silence plus que pesant.

Avant même qu’elle ait pu dire quoi que ce soit, il tourna les talons et quitta la maison de Hagrid, en claquant suffisamment la porte pour qu’Alice le prenne mal.

Elle se leva en s’époussetant à grands gestes. Puis elle alla se servir un grand verre d’eau fraîche. Elle se mit même à la fenêtre ; il s’éloignait à grands pas, avec quelque chose de coincé sous le bras, qui ressemblait à un livre. Quelle mouche le piquait, celui-là ? Il ne savait pas d’où elle venait, non ? D’accord, elle sortait tout droit d’une cheminée, et cela avait tout l’air d’une escapade en douce. Et alors ? Elle était enfermée ici depuis des jours ! Elle avait bien le droit de prendre l’air, non ?

Vexée par cette réaction ridicule, elle passa dans sa chambre et eut la désagréable surprise de se voir dans le miroir ; là, elle comprit. Son visage était couvert de suie, mais ses yeux étaient encore gonflés d’avoir pleuré, et elle était si pâle qu’elle en était effrayante. Pourtant, ce n’était pas une raison suffisante pour que Rogue se sauve sans dire un mot, en lui laissant juste l’impression qu’elle avait fait quelque chose de mal. Elle savait qu’il ignorait qui elle était.

Et elle vit, éparpillé sur le sol de sa chambre, les morceaux déchirés du parchemin qu’elle avait reçu la veille. Furieuse, elle le maudit tout haut. Puis elle s’assit sur le bord de son lit, se sentant soudain très vide. Est-ce qu’il l’avait attendue ? Pourquoi ? De toute façon, elle ne lui devait rien. Et de toute façon, il n’était rien qu’un sale traître, un être qui avait du sang sur les mains, quelqu’un de méprisable ! Comment avait-il osé la juger, elle, tant de fois auparavant ?

Elle se laissa tomber en arrière, et ferma les yeux. Elle ne pleura pas. Elle restait seule avec la vérité.

Elle était une enfant de Mangemorts…