˜
IV ™Alice avait repris sa place au milieu des autres, et rien n’avait changé.
Le premier cours auquel elle devait assister, était un cours de potions. Elle n’avait pas vraiment envie de subir les sarcasmes du vil professeur, mais c’était ainsi.
Curieusement, l’élève à côté duquel elle était assise fut très courtois avec elle, de même que la jeune fille à sa droite. Elle attribua cela au fait qu’ils avaient tous dû croire que le vampire l’avait attaquée, et qu’elle avait survécu. Cela la fit sourire.
" Tu es quand même plus jolie lorsque tu souris… "
Avait-elle bien entendu ces fadaises ?? Elle tourna légèrement la tête vers son voisin de gauche et le fixa d’un drôle d’air.
" - Je peux savoir pourquoi tu as dit ça ? fit-elle sèchement.
La voix du professeur Rogue avait résonné, clairement, afin que tous l’entendent, et tous s’étaient tournés vers les deux élèves visés.
" Si, si ! " démentirent-ils en chœur, se faisant tous les deux très petits.
Rogue les gratifia d’un de ses sourires de circonstance, mauvais signe avant-coureur d’une catastrophe. Ils ne savaient pas dans quel état de courroux se trouvait leur professeur, donc ils ne se doutaient pas de ce qui les attendait.
" Monsieur Gabriel Waters, veuillez répéter ce que je disais, avant que vous ne m’interrompiez. "
Ledit Gabriel Waters ne savait pas du tout ce qu’avait dit le professeur.
" - Je ne sais pas, répondit-il franchement.
Avait-il fait exprès, de ne pas l’appeler par son nom ? Alice s’en trouva vexée. C’était à elle d’avoir honte de lui, pas l’inverse.
Elle le regarda en face et imita son voisin.
" Non, monsieur, je ne sais pas " répondit-elle avec la même franchise.
Le sourire de circonstance s’élargit.
" Bien " fit Rogue en s’asseyant à son bureau.
Il s’empara d’une plume et notant soigneusement quelques mots sur son parchemin.
" Vos camarades vont pouvoir vous remercier, continua-t-il sans regarder la classe. Vous faites tous les deux perdre deux points chacun à votre maison, et vous me ferez une retenue, ce soir. Vous viendrez me voir, à la fin du cours. "
Les deux élèves ne purent qu’accepter la sentence. Par contre, ils ne s’adressèrent plus la parole jusqu’à la fin du cours, par crainte de se faire admonester une nouvelle fois. Les colères du professeur-vampire étaient les pires de toutes.
Pendant que les autres élèves quittaient le cachot, ils rejoignirent Rogue, qui les attendait de pied ferme, toujours assis à son bureau.
" Je vais prévenir monsieur Rusard que vous êtes en retenue, fit-il. Il saura vous trouver quelque chose à faire, qui calmera vos crises de parlote. Soyez à huit heures devant la salle à manger, après le repas. Je ne tolèrerai aucun manquement. Vous pouvez disposer. "
Comme les deux condamnés s’en allaient, Rogue rappela Alice. Gabriel lui fit un petit sourire qui semblait vouloir dire " courage " ou " à tout à l’heure " ou bien encore " dommage ".
Elle resta donc face au professeur, qui fit durer le silence suffisamment longtemps pour qu’elle commence à s’inquiéter. Qu’est-ce qu’il lui voulait ?
" Vous comprenez que je ne cherche pas à vous mettre en porte-à-faux, par rapport aux autres. "
Ce n’était pas une question, c’était une affirmation. Elle n’en croyait pas ses oreilles. Il devait s’imaginer qu’elle allait le remercier de l’avoir mise en retenue.
" - C’est certain, dit-elle comme ça.
- Tout ce que vous récoltez, c’est ce que vous méritez " reprit Rogue.
Mais qu’est-ce qu’il lui faisait, là ? Il avait dû boire une de ses potions, elle devait être éventée et maintenant, il délirait. Autant se taper sur les doigts avec un marteau.
" - Heu, oui, je sais cela, professeur, dit-elle, sa curiosité éveillée.
Ah, voilà qui lui ressemblait plus.
" - Ma crise existentielle ? Vous voulez dire, le fait que j’ai été malade ? insista-t-elle.
Elle n’y comprenait rien. Mais s’il voulait qu’elle se comporte comme tous les autres, et bien, elle le ferait. Jusqu’à ce qu’elle ait à nouveau les quatre folles sur le dos.
" Vous êtes vraiment bizarre, laissa-t-elle tomber sans méchanceté. Je ne suis qu’une simple élève, je ne vois pas pourquoi tout ce tapage autour de moi. Soit, je resterai à ma place, j’essaierai d’éviter de provoquer mes camarades en ayant des notes modestes, je ne chercherai pas à briller et puis, j’honorerai ma retenue de ce soir sans broncher. "
Mais elle se moquait de lui, cette petite impertinente ! Lui dire qu’il était bizarre… Oui, et alors ?
" Puis-je m’en aller, maintenant ? "
Il lui donna congé, d’un regard noir et fulgurant.
Lorsqu’elle arriva sur le seuil, il la rappela ; elle leva les yeux au ciel et se retourna, le visage fermé. Ce qu’il était pénible, celui-là, quand il s’y mettait !
" Qui sont ces élèves, qui ont saboté votre potion, la dernière fois ? "
A quoi jouait-il ? Au protecteur caché ?
" - C’était il y a longtemps et cela n’a aucun intérêt, répondit-elle. Je ne vois pas ce que cela peut vous apporter.
Elle dut s’en contenter.
Une fois dehors, elle fut harponnée par son nouveau compagnon d’infortune, ce Gabriel. Il l’avait attendue, comme si de rien n’était.
" - Tu en as mis du temps ! dit-il gaiement. Qu’est-ce qu’il t’a raconté, le vieux fou ?
Elle regarda d’un air amusé. Il avait l’air gentil et sincère. S’il n’était pas tordu comme les autres, elle pouvait bien accepter qu’il l’accompagne, entre les cours, et même à l’étude ou la bibliothèque, s’il le voulait.
Elle sourit.
" Si tu restes à ta place, c’est d’accord " dit-elle.
C’était comme si elle lui avait annoncé la plus belle nouvelle de tous les temps.
" - Alors, on pourrait peut-être en profiter pour rattraper tes cours, non ? proposa-t-il avec sérieux.
Elle avait oublié qu’elle avait manqué quatre jours de classe, et qu’elle avait plein de cours à reprendre en totalité. Ce Gabriel était vraiment très gentil. Peut-être que sa présence allait repousser les attaques des harpies. Elle le souhaita ardemment.
Seulement, quelque part dans la cour, non loin, quatre filles les regardaient passer, eux qui parlaient si librement ; Rebecca Sheller se jura, en les voyant, que cette misérable Sang-de-Bourbe ne s’en tirerait pas comme ça.
A vingt heures et cinq minutes tapantes, les deux élèves en retenue se retrouvèrent dans la salle des trophées de Poudlard, au garde à vous devant Rusard, qui en était encore à se demander pourquoi on ne remettait pas les salles de tortures en fonction, plutôt qu’assigner les élèves à des tâches si ridicules.
Comme il était interdit de sortir de l’école, il était obligé de leur faire faire leur punition à l’intérieur. Ainsi, il les laissa l’un à l’opposé de l’autre, un chiffon à la main.
" Et que ça brille. Je reviens dans une heure, je veux que ça soit comme neuf. "
Ils frottèrent, lustrèrent, briquèrent sans échanger un mot, une heure durant. La fatigue aidant, ils n’avaient pas le cœur à converser, mais de temps en temps, Gabriel jetait un petit coup d’œil à sa camarade, qui, lorsqu’elle le surprenait, faisait mine de lui lancer une coupe ou un trophée à la tête.
Quand Rusard revint, il ne trouva rien à redire. Déjà qu’il estimait que cette retenue était stupide, il n’allait pas s’éterniser ici.
" Allez vous coucher, fit-il en grattant la tête de miss Teigne. Directement. J’ai pas envie de vous retrouver morts cette nuit, moi. "
Ils ne se firent pas prier.
Alice avait réellement envie de rentrer, mais Gabriel ne semblait pas de cet avis. Comme il insistait, elle fit mine de se mettre en colère ; elle appréciait sa compagnie mais ils ne pouvaient se permettre de se créer d’autres ennuis.
Dans la salle commune vide, il lui fit promettre de l’accompagner pour la fête d’Halloween. Il y avait un repas et il voulait qu’elle mange à côté de lui.
" - Je te dirai ça demain, d’accord ?
Elle se sauva vers son dortoir sans rien ajouter de plus. Ce n’était pas qu’elle le fuyait, parce qu’elle savait bien ce qu’il avait derrière la tête, celui-là, mais elle avait remarqué que le ciel était d’une incroyable clarté, cette nuit ; il n’y avait pas de lune, pas de nuages, c’était idéal pour rattraper son cours d’astronomie. Tant pis pour l’interdiction de circuler seul dans l’école.
Il n’était que vingt et une heures et tout le monde était déjà couché. Comme la fête d’Halloween se déroulait un samedi soir, tous les élèves avaient permission de plus de minuit, sauf les première année – minuit seulement – et ils se reposaient ce soir-là. Pour une fois qu’ils avaient le droit de faire la fête !
C’était vraiment le meilleur moment pour se sauver.
Alice avait attendu que s’écoule une heure, assise sur son lit, puis s’était changée ; elle avait enfilé un pantalon, un T-shirt et un pull, et passé sa robe de sorcier par-dessus. Pour être libre dans ses mouvements, elle roula ses cheveux en un chignon, qu’elle piqua de sa baguette magique. Elle prit deux livres et sortit, tout en discrétion, pour revenir sur ses pas, fouiller sous son lit et en dénicher un petit sachet noir, qu’elle passa autour de son cou, sous son pull.
Maintenant parée, elle pouvait enfin sortir. Elle avait du travail en retard, elle devait se dépêcher, pour finir sans se faire attraper.
Il faisait quand même froid, dans cette tour, mine de rien. Elle songea qu’elle aurait peut-être dû prendre un autre pull, ou une écharpe.
Elle s’était assise sur le rebord qui donnait sur le vide, et avait ouvert ses livres, qu’elle avait posés devant elle. D’une main, elle prenait des notes sur ce qu’elle voyait au dessus d’elle, de l’autre elle désignait chaque astre, qu’il soit étoile ou planète. Le ciel était vraiment magnifique.
En se rendant compte de ce qu’elle était en train de regarder, elle baissa le bras et se mit à fixer la voûte céleste. C’était bien ce ciel, qui la réconfortait tant, lorsqu’elle était triste. Ce ciel d’une si infinie beauté, empreint d’un calme éternel, comme si lui et seulement lui pouvait lui apporter la paix.
Brusquement, elle sursauta, envahie par un froid soudain.
" Alice, sauve-toi, il y a quelqu’un ! " lui dit-on à l’oreille.
Elle se leva d’un bond.
" Cedric ?? "
Elle avait beau regarder autour d’elle, pas l’ombre d’un fantôme. Il devait se cacher et pourtant, ce n’était pas son genre. Avait-il peur de ce qui arrivait ?
Elle rassembla ses affaires et se mit à courir, descendant les marches quatre à quatre, au risque de tomber. Le souffle court, elle n’arrivait pas à savoir si elle était suivie, si quelqu’un l’avait vue ou si elle se jetait droit dans la gueule du loup.
Arrivée dans le couloir qui menait à la maison Serdaigle, elle ralentit le pas ; elle devait se faire la plus discrète possible.
Son cœur battait très fort, elle l’entendait tambouriner dans ses oreilles. Elle avait l’impression d’être observée. Elle se colla au mur, comme si celui-ci pouvait l’avaler et la soustraire aux regards. Elle ne se souvenait pas avoir déjà eu si peur. Si un professeur la surprenait, ou n’importe qui d’autre, elle savait qu’elle hurlerait. C’était tellement oppressant !
Soudain, elle sentit qu’une main l’attrapait pour la tirer en arrière, dans l’ombre. Cette même main se plaqua sur sa bouche, pour lui interdire le moindre son, et un bras lui enserra fortement les épaules, l’empêchant de bouger, lui barrant la poitrine. Ainsi tapie dans l’ombre, bien malgré elle, elle vit passer quelque chose d’affreux, d’indiciblement affreux, dont elle détourna le regard, épouvantée.
Comprenant ce qu’était cette chose, elle eut la présence d’esprit de se demander pourquoi elle ne l’avait pas attaquée. Cedric l’avait mise en garde contre quelqu’un, mais était-ce ce monstre ou était-ce la personne qui la tenait prisonnière ? Pourquoi cette odeur de pin, autour d’elle ? Ce n’était pas son talisman de protection, elle l’avait fait à base de cèdre. Qui était derrière elle ?
Elle ne le sut que bien des minutes plus tard, une fois que la sensation d’oppression se fut estompée, puis eut disparu. A ce moment, et seulement à ce moment, les mains la lâchèrent et la repoussèrent dans le couloir, sans douceur.
Le cœur et le sang d’Alice s’arrêtèrent, lorsque le professeur Rogue se détacha de l’ombre, aussi menaçant qu’elle. Elle allait en prendre pour son grade, là.
" Cela ne vous a pas suffit, un mort ? Vous voulez que ce truc vous ajoute à sa liste ? "
Il ne comprit pas pourquoi sa remarque tranchante faisait sourire cette jeune effrontée.
" - Bien sûr, ça vous amuse ! s’exclama-t-il, faisant fi du silence nocturne.
Il l’aurait brûlée vive, s’il l’avait pu.
" Petite idiote ! Est-ce que vous êtes consciente de ce à quoi vous avez échappé, au moins ? "
Comme si elle avait attendu ces paroles, elle faiblit d’un coup : ses jambes lui firent défaut ; elle tomba sur les genoux, sans que Rogue ait esquissé le moindre mouvement pour la retenir. Elle avait éprouvé une grosse frayeur et venait de se remémorer le monstre, qui les avait frôlés. Maintenant, elle subissait le contrecoup et c’était comme si ses forces l’avaient abandonnée. Ses livres lui avaient échappé et avaient glissé sur le sol, avec elle, entre elle et les pieds du professeur.
Voyant cela, il posa un genou à terre et ramassa les livres.
" - Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda-t-il, furieux.
Alors celle-là, c’était la meilleure. Il fallait être folle pour aller à l’encontre d’une interdiction très claire, uniquement dans le but de rattraper un cours ! Elle était folle cette gamine, folle à lier.
Et puis, cette odeur de cèdre…
Il se pencha un peu vers elle, pour flairer son parfum. Elle avait l’air de trouver ça bizarre, mais elle ne protesta pas ; elle lui facilita même la tâche, en tirant sur la cordelette qu’elle avait autour du cou, au bout de laquelle pendait un petit sac de velours noir.
" - C’est ça qui vous gêne ? demanda-t-elle en l’agitant sous son nez.
Il savait ce que c’était, il en avait aussi un autour du cou, sous la veste de son costume. Mais lui, c’était normal. Elle, c’était une élève, que diable !
" Personne, dit-elle. Je l’ai fait moi-même. "
De mieux en mieux.
" Comment avez-vous eu accès à de tels sortilèges ? "
Elle lui sourit, sans malice.
" Vous oubliez d’où je viens. Là-bas, on a accès à toutes sortes de choses très intéressantes. Je connais par cœur la formule de ce talisman, sauf que moi, je préfère le cèdre au pin, contrairement à vous. "
Ainsi, elle savait. Et elle se vantait de connaître quelques formules obscures, en plus. C’était intéressant, comme elle le disait si bien.
" - Quand avez-vous fait ce talisman ? ne put-il s’empêcher de demander.
Il allait ouvrir la bouche pour lui expliquer la vie, mais se ravisa ; elle avait raison, le monstre des murs pouvait très bien repasser, alors qu’ils devisaient bien gentiment au beau milieu du couloir.
Il se releva et épousseta machinalement sa robe de sorcier.
" - Rentrez vous coucher, fit-il. Comme vous en avez été quitte pour une belle frayeur, je fermerai les yeux sur votre présence ici, à minuit, alors que c’est interdit.
Cela lui était bien égal, qu’elle soit clouée au sol comme un vulgaire insecte. Mais si elle restait coincée là, elle risquait de se faire attraper par Rusard ou bien par le " truc " de la miss Bathory. Ah, il l’aurait volontiers laissée sur place.
De mauvaise grâce, il lui tendit la main pour l’aider. Elle la saisit franchement et se hissa, puis fit une ou deux flexions de genoux, agitant les pieds pour faire circuler le sang correctement.
" - Bon, vous avez fini ? Vous pouvez lâcher ma main ? "
Elle ne s’était pas rendue compte qu’elle continuait à se servir de lui comme appui, pendant qu’elle remettait en place la fonction sanguine de ses jambes. Elle lâcha cette main comme si elle l’avait brûlée, ou comme si elle était une chose immonde appartenant à quelqu’un ou quelque chose d’immonde. Elle n’y avait pas fait attention du tout.
Lui, rangea cette main dans la manche de sa robe, comme pour la dissimuler, comme si elle était sale, maintenant. Pensez donc, toucher un élève, quelle horreur !
" J’espère pour vous que les seules choses interdites que vous faites, sont de vous balader la nuit et de fabriquer des amulettes " fit-il en guise de bonsoir, puisqu’il commençait à s’éloigner.
Elle soupira. Etait-il vraiment humain, celui-là ?
" Peut-être… " murmura-t-elle, avant de s’en retourner dans la chaleur sécurisante de la maison Serdaigle.
Il était temps de se coucher. Les émotions de la nuit l’avaient épuisée. Avant de s’endormir, complètement submergée par le sommeil, elle songea qu’elle devait absolument remercier Cedric, pour l’avoir prévenue du danger. Le remercier, parce que… Parce que…