˜ VIII

Alice ouvrit les yeux sur l’obscurité. Elle se demanda où elle était. Pas dans sa chambre. Elle se redressa lentement, forçant son regard à distinguer quelque chose, dans le noir. Elle devait être à l’infirmerie.

Pourquoi était-elle à l’infirmerie ? Elle se laissa retomber sur son oreiller. Soudain, elle eut peur, peur comme jamais. Et s’il était là, tout près ? Ce monstre, cette chose qui avait tué un autre élève, pouvait être là, sous son lit, dans le coin sombre, là-bas, prêt à se jeter sur elle et à la vider de son sang. Elle se leva et poussa le lit contre le mur, contre lequel elle se blottit, les couvertures remontées jusqu’aux oreilles. Non, non ! Pas contre le mur ! Cette chose vivait dans les murs, elle savait qu’il vivait dans les murs ! Elle bondit hors du lit et sortit en courant de l’infirmerie, pieds nus, en chemise de nuit, oubliant toutes ses affaires derrière elle.

Mais où aller ? Partout, des murs, autour d’elle. Cette école était pleine de murs !

Elle se retrouva dehors, sous la pluie, au beau milieu de l’étendue herbeuse qui menait à la maison de Hagrid. Ici, il n’y avait que la nature, pas de murs, et puis la maisonnette de Hagrid était loin de l’école. La chose ne pouvait pas venir ici.

Elle courut, glissa, se releva et repartit de plus belle.

La lumière était encore allumée. Il ne dormait jamais, Hagrid ?

Elle frappa à la porte, timidement, tremblante de froid.

Hagrid fut étonné de trouver une jeune demoiselle, sur le pas de sa porte. Une demoiselle en chemise de nuit, trempée de la tête aux pieds, et qui avait dans le regard une lueur inquiétante. Il se reprit bien vite et la fit entrer.

" - Qu’est-ce que vous faites dehors par un temps pareil ? demanda-t-il en la faisant s’asseoir devant la cheminée, dans laquelle crépitait un bon feu.

- Je… J’ai trop peur de retourner dans l’école… " murmura Alice, qui grelottait.

Hagrid lui posa une lourde couverture sur les épaules ; elle s’enroula dedans et remonta ses pieds contre elle.

" Je vais faire du thé. "

Pendant qu’il préparait le thé, il se posait mille questions. Pourquoi était-elle venue chez lui ? Pourquoi avait-elle peur de retourner dans l’école ? Pourquoi donnait-elle l’impression d’avoir vu quelque chose de si affreux, que son regard en portait encore les stigmates ?

Il lui tendit une grande tasse fumante et s’assit en face d’elle.

" - Il est à l’orange, dit-il avec un sourire.

  1. Il sent bon…
  2. Dites-moi… heu, Alice, c’est ça ? "

Elle hocha la tête, tout en soufflant un peu sur son thé, qui fumait bien.

" Vous ne devriez pas être là " reprit Hagrid, qui, sous des dehors un peu impressionnants, cachait un cœur d’or gros comme ça.

Elle le regarda, non, elle l’implora du regard. Elle devait avoir vraiment très peur, pour réagir ainsi.

" Quelqu’un vous a fait du mal ??? "

Il pouvait imaginer le pire, puisqu’elle ne disait rien.

" Il y a un monstre, dans l’école " dit-elle.

Oui, ça, il le savait, puisqu’il n’arrivait pas à le coincer, ce maudit vampire. Mais ce n’était quand même pas cela qui effrayait ainsi cette élève.

" Je suis fatiguée, monsieur Hagrid… "

Elle était comme un enfant. Il était sûr qu’elle hurlerait, au moindre bruit.

Hagrid se leva ; il ne pouvait pas la laisser ainsi.

" Tenez, vous n’avez qu’à dormir là, sur la banquette près du feu, dit-il. Au moins vous n’aurez pas froid. Je vais vous donner… des vêtements secs. "

Il lui ramena une chemise, qui lui arriverait certainement aux chevilles, une fois qu’elle l’aurait mise, mais elle allait tomber malade, si elle gardait la sienne ; il lui dénicha aussi des chaussettes. Lorsqu’elle revint, il eut envie de rire ; elle était rigolote, attifée de la sorte, avec cette chemise dix fois trop grande et ces chaussettes qui retombaient, entortillées sur ses jambes.

Voyant la tête qu’il faisait, elle baissa les yeux et parvint à sourire.

" Merci, monsieur Hagrid. "

Il fronça les sourcils.

" - Arrêtez de me dire monsieur Hagrid, dit-il en haussa un peu le ton. Hagrid suffira.

  1. Alors, ne me vouvoyez plus.
  2. Bien. Maintenant, couche-toi et essaie de dormir. Avec Crockdur tu ne risques rien.
  3. Merci… Hagrid… "

Elle se roula en boule sous la couverture.

Cinq minutes après, elle dormait comme un bébé.

Hagrid grattait le dos de son chien, debout près de la porte.

" Toi, tu restes ici et tu la surveilles, dit-il doucement. Moi, je vais prévenir Dumbledore qu’elle est ici, il ne faut pas qu’il s’inquiète. "

Lorsqu‘il sortit, il s’aperçut que cette fichue pluie s’était arrêtée. Au moins, il n’aurait pas besoin d’utiliser son vieux parapluie rose.

Les couloirs de l’école étaient tellement silencieux que cela lui donnait la chair de poule. Il ne savait pas à quoi ressemblait la créature, mais il pouvait aisément l’imaginer rôdant par là, à l’affût, se moquant de ce demi-géant qui regardait derrière lui toutes les minutes.

Il ne fut pas mécontent d’arriver devant la porte magique de Dumbledore. Il prononça le mot de passe – " fizwizbiz " - et se mit à monter les escaliers ; comment allait-il lui dire qu’une élève à moitié morte de peur avait débarqué chez lui, en pleine nuit ?

Il tapa doucement à la porte du bureau.

" Hagrid ? Mais… Il y a encore eu un problème ?? "

Le vieil homme était assis derrière son bureau, apparemment en train de consulter un ouvrage assez compliqué. L’apparition soudaine de Hagrid avait l’air de l’inquiéter.

" Comment ça, encore ? " s’étonna le gigantesque bonhomme.

Ah oui, il n’était pas au courant.

Albus l’invita à s’asseoir, d’un geste de la main.

" - Il y a eu une nouvelle attaque, révéla-t-il tout doucement.

  1. Vraiment ?! Alors ça explique bien des choses ! s’exclama Hagrid, par contre.
  2. Je ne vous suis pas.
  3. Heu… J’ai une invitée surprise, à la maison. Crockdur la surveille en attendant mon retour. "

Albus fronça les sourcils.

" - Alice Rogue est arrivée chez moi tout à l’heure, raconta Hagrid. A la voir, j’ai cru que le diable la poursuivait.

  1. Quoi ? Mais elle était censée être à l’infirmerie !
  2. Et bien elle n’y est plus. Elle a dit qu’elle avait peur de retourner dans l’école. DANS l’école.
  3. Bien sûr… "

Il comprenait mieux, maintenant. Elle avait peur parce que la créature était dans les murs. Elle devait craindre d’être attaquée. Pour elle, les murs étaient devenus synonymes d’insécurité. C’était fâcheux. Et c’était la raison pour laquelle elle était allée se réfugier chez Hagrid ; sa maison était seule au milieu d’un terrain à découvert. Loin de l’école.

" - Qu’êtes-vous en train de faire ? demanda soudain Hagrid.

  1. Vous êtes bien curieux ! répondit Albus en souriant. Je cherche une formule capable de sceller un objet, de façon à ce que personne ne puisse l’ouvrir, pas même son propriétaire.
  2. Oh, je vois. A qui appartient cet… objet ?
  3. Et bien, au professeur Rogue, puisque je ne peux rien vous cacher. Je suis bien ennuyé, avec lui, en ce moment… "

Albus referma le vieux livre de magie et, d’un coup de baguette magique, il fit venir à lui une théière et deux tasses ; le thé se prépara dans un joyeux bruit de porcelaine et fut servi dans l’instant.

" - Ennuyé, vous dites ? Mais pourquoi ?

  1. Je ne sais pas, ce n’est pas évident à expliquer, Hagrid. Il doit me remettre la plupart de ses effets un peu… Comment dirais-je ?
  2. Malfaisants.
  3. Si vous voulez. Il faut que je les enferme, jusqu’à ce que cette affaire de vampire soit résolue.
  4. Sauf votre respect, je ne vois pas le rapport entre Rogue et ce…
  5. Il n’y en a aucun. Je veux éloigner de lui tout ce qui touche à la magie noire, Hagrid.
  6. Oooooooooh ! La magie noire… "

C’était tellement évident. Rogue, la magie noire, tout cela… Forcément. C’était tellement évident.

" - Mais, il n’en fait plus depuis des années ! s’écria soudain Hagrid, faisant sursauter Albus et couler un peu de thé sur ses doigts.

  1. Lui, non, répondit le vieil homme en gardant son calme. Mais j’ai bien peur que si rien n’avance, il ne me faille m’en séparer. "

Hagrid ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes.

" De quoi ? "

Albus posa sa tasse de thé. Il avait l’air très abattu, à cet instant.

" Du professeur Rogue, Hagrid. "

Le demi-géant posa lui aussi sa tasse. Il se leva et fit quelques pas.

" Ce n’est pas normal. Jamais vous ne diriez une chose pareille. Je suis sûr que vous vous trompez de personne. "

Pourquoi Hagrid disait-il cela ? Depuis quand prenait-il la défense d’un homme, pour lequel il ne ressentait qu’un respect poli ? Il avait l’air contrarié, vraiment contrarié.

" - Ce n’est pas lui, qu’il faut chasser, et vous le savez.

  1. Hagrid, ce n’est pas aussi simple que cela ! répondit Albus, mal à l’aise.
  2. Tout allait bien, depuis quelque temps. Il a fallu que cette bonne femme arrive, pour que les ennuis commencent ! Je ne suis pas d’accord avec vous.
  3. Je vois cela, merci d’insister.
  4. Excusez-moi, Albus, je dois rentrer chez moi. Il y a là-bas une jeune personne qui va s’inquiéter, si elle ne me voit pas.
  5. Hagrid… "

Il se retourna, la main sur la poignée de la porte.

" Demain après-midi, nous allons à Pré-au-Lard, dit Albus. Vous resterez ici avec les professeurs Londubat, Trelawney, Binns et moi-même. L’élève qui a été attaqué est à l’infirmerie, il se repose. Il nous faudra veiller sur lui. Dites à Alice qu’il va bien… "

Hagrid hocha la tête et s’en alla.

Albus était surpris et déçu par sa réaction. Il n’était pas d’accord sur les mesures prises, concernant Rogue. C’était étrange. Mais pas suffisant pour le faire changer d’avis. Si le professeur de potions ne restait pas à sa place, il faudrait l’y remettre. On n’avait pas besoin de justicier dans l’école, encore moins d’un inconscient qui ignorait tout de la créature qu’il cherchait à débusquer. A son âge, jouer les têtes brûlées… S’il se faisait tuer, Albus ne le lui pardonnerait jamais, pas plus qu’à lui-même. Il avait déjà donné…

Le comportement de Hagrid n’arrangeait en rien l’affaire. Il ne comprendrait sans doute pas, si le directeur renvoyait l’un de ses meilleurs professeurs. Il appellerait cela une trahison.

Et cette pauvre Alice… Elle donnait l’impression de ne jamais pouvoir se remettre. Elle était trop jeune, il l’avait dit. Mais elle était trop impulsive, elle ne voudrait pas cesser de chercher, elle non plus. Sa fierté avait été bafouée, tout comme celle de son professeur. Elle voulait confondre celle qui répandait le mal. Elle voulait trouver une façon de détruire sa propre souffrance.

Tout aurait été si simple, si Albus pouvait renvoyer Eswann. Mais elle représentait un réel danger, pour tous. S’il la renvoyait, elle irait semer la mort ailleurs. Il savait. Il savait tout sur elle. Elle avait ramené avec elle, du Japon, cette bête qui avait déjà tué un élève et attaqué un autre.

Le seul problème, c’est qu’elle ignorait comment l’éradiquer.